Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Nuits sans sommeil

Je me réveillai brusquement au milieu de la nuit. Les sanglots du téléphone m’ont finalement réveillé. J’hésitai un peu à le prendre. A répondre. Je crus d’abord que c’était une de ses femelles en chaleur qui ne savaient quoi faire de leur nuit ; qui voulait sadiquement gâcher la mienne, si précieuse. Je me décidai enfin à le prendre. C’était plutôt un de ses idiots qui passent leur journée à récupérer des numéros de téléphones de toutes les filles qui passent pour passer des nuits entières sans sommeil à leur faire la cour.

 

En effet, cet idiot s’est trompé de numéro. On ne s’étonne pas que, dans ce pays miné par le chômage, la misère et l’anti-développement, l’oisiveté et la paresse s’imposent en reines incontestées et incontestables.

 

Je jetai un œil sur le cadran de l’horloge. Il marque 2h du matin. Je pris un temps pour réfléchir sur la manière dont se fait le découpage des journées. Je me demandais si j’étais déjà en jeudi matin ou je suis encore en mercredi soir. Les haïtiens du pays en dehors n’ont pas de montre ni d’horloge pour  connaître l’heure. Même s’ils en ont, ce n’est qu’un bijou. Ils n’ont qu’à relever la tête, et, dans une complicité avec le soleil et leur propre ombre, ils vous donnent exactement l’heure de la journée. Mais la nuit, c’est la nuit et le jour c’est le jour. Ils n’ont pas cette subtilité stupide des occidentaux qui veulent que, passer de 24 heures, un autre jour commence. Pour nous autres, le jour commence avec le jour et la nuit avec le soir, point boule.

 

Avant de m’endormir, c’était vers 11 heures. Je lisais un bouquin d’un écrivain qu’on disait facile, commercial ou quelque chose de ce genre. Pour justifier pourquoi il était plus lu qu’eux autres. C’était en fait des histoires de vaudou et de diableries qui n’ont fait qu’emmerder un athée convaincu comme moi. Mais ces histoires étaient en somme quelque peu amusantes. Je me régalai un peu, surtout après une si dure journée de labeur et de fatigue. N’empêche que je regrette quand même de n’avoir pas rouvert pour une cinquième fois un Gouverneurs de la rosée. Je me serais non seulement régaler mais aussi savourer ce succulent tissu de mots qui coule sur les pages blanches comme ce liquide visqueux, ce breuvage que l’on disait qui donne bande, le sirop miel. Des paroles vigoureuses qui tombaient comme l’eau d’une fontaine de la bouche de ce philosophe analphabète, Manuel.

 

Soudain, l’envie me prend d’écrire une histoire. Je pris mon carnet, le déposai sur ma petite table de  travail. Puis, je cherche mon stylo. Je ne le vois pas. Un crayon, non plus. Je cherche n’importe quoi qui puisse griffonner. Nada. Je n en trouve pas. Je voulais utiliser mes ongles, je les ai coupées, hier matin ou ce matin, je ne sais trop. Alors, j’ai décidé d’abandonner et de regagner mon lit. En m’étendant sur le lit je me suis senti piqué par un outil pointu. C’était le crayon que j’avais volé à un camarade. On me volait toujours les miens, je m’en plaignais incessamment. Maintenant, je décide de leur voler les leur. Je ne m’en plains plus.

 

Je suis revenu sur la table, crayon  en main. Mais je suis confronté à un autre problème. Il est vrai que je voulais écrire mais quoi exactement ? Je ne le savais pas encore. Je n’avais aucun sujet. D’ailleurs, je ne suis même pas écrivain, je suis tout simplement quelqu’un qui ne sait quoi faire de ses nuits insomniaques. Ne voulant pas commettre une bêtise, j’abandonne de nouveau.

 

 

Mais je n’arrive toujours pas à me rendormir. À l’intérieur, il commence à faire terriblement chaud. Le ventilateur ne marche plus. Des gouttes de sueurs poussaient à flots sur mon front.

 

Je décidai de regagner la cour. J’ouvris la porte cette ancienne maison, cette porte à clochette, à deux battants. J’eus un frémissement qui me donnait le sentiment  d’être quelqu’un qui est  parti pour une mauvaise aventure. Il fait frais dehors. J’aime la fraîcheur. J’aime la nuit aussi. Je relevai la tête, regardai le ciel, contemplai le mouvement ondulatoire des astres. L’envie me prend soudain de voler, de voyager parmi les étoiles. Je voulais visiter l’univers tout entier ; dîner chez Dieu, dormir parmi les anges ; boire un coup avec le diable pour éviter toute jalousie. Je marchai, rêveur, au milieu de la nuit sans faire attention à ce qui pouvait se trouver sur mon chemin ; puisqu’en réalité, je ne marchais pas, je volais. Sans ailes bien sûr ! Quand soudain, je piétinai quelque chose de très mou. C’était un chat, un petit animal au regard lumineux. Ses yeux ressemblaient à mes étoiles de tout à l’heure. Je me disais en moi-même que c’était bizarre, étrange même que le chat n’a ni miaulé ni ne m’a griffé non plus. Il y eut un moment de silence  entre le chat  moi.

 

-       Oublie-t-on les bonnes manières jeune homme. Tu ne vois pas que tu m’as piétiné, bon sang !

 

Je croyais à un rêve. Je voulais me réveiller tout de suite mais je l’étais bel et bien déjà. Je me frottai les yeux croyant à une hallucination.  

 

-       Quoi ! T’as oublié tes lunettes, petit effronté ? poursuivit le chat en colère.

 

J’examinai pendant longtemps le petit animal. Les yeux remplis de surprises. Je cherchai s’il ne portait pas des bottes au moins j’aurais la consolation d’un conte de fée. Des bottes, je n’en n’ai vues point.

 

-       Alors, tu vas me faire tes excuses ou je te plante mes griffes, espèce d’idiot, reprit l’animal l’air impatient.

 

-       Parrrrrdon ! désolé, murmurai-je à voix basse.

 

-       Alors, qu’est-ce que tu fais dehors à cette heure, petit téméraire, enchaîna-t-il.

 

-       Je cherche une histoire, répondis-je bêtement.

 

-       Des histoires, tu en auras plein avec moi, si tu continues à me piétiner comme ça.

 

Je pris un autre moment de silence. Pensif, troublé, je me questionnais si tout cela était bien réel ou si c’était mon imagination qui me jouait des tours.

 

-       Mais qu’est-ce que tu cherchais là-haut, fiston ? reprit le chat qui n’arrête pas de me harceler avec ses questions.

 

-       Une histoire, je te l’ai déjà dit, non !

 

-       Eh bien ! ton histoire, tu l’as déjà eue. Va donc raconter à tes imbéciles de lecteur que tu as vu un chat qui sait parler.

 

-       Tous les lecteurs connaissent déjà cette histoire, lui lançai-je !

 

-       Sauf, ils ne savent pas si c’est vrai, ils sont trop cons pour ça. Et puis, d’ailleurs, tu pourrais leur dire que ton chat à toi ne porte pas des bottes mais des baskets, que je possède un ordinateur et un téléphone portables.

 

Sans que j’aie eu le temps de répondre, son portable sonna. Il le retira de sa pochette, on dirait un policier qui prend son arme. Il regarda d’abord le numéro, puis, il me dit qu’il doit prendre congé de moi, c’est sa femme qui appelle. Avant de partir, il me donne un rendez-vous pour demain.

 

Fidèle à son rendez-vous le lendemain, le chat était accompagné de sa femme et de ses deux enfants. Il emportait avec lui des bouteilles de vin, des biscuits et des gâteaux. De quoi faire un festin de chat !

 

Depuis lors, j’ai trouvé un compagnon pour mes nuits sans sommeil.

 Janvier Samy Hertho

samyjanvier@yahoo.fr

                             


 

Les commentaires sont fermés.