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« De ta ville, ton coeur a-t-il autre parfum ? »

Dans la poésie haïtienne de ces dix dernières années, comme jamais, le thème de la ville est incontournable. La ville est de plus en plus accrochée aux mots des poètes et, vice versa, les mots sont également attachés à la ville, comme si leur seule essence ne résidait que là. Ville ouverte, ville fermée, ville obscure, ville lumière, les angles abondent et laissent toujours aux poètes le champ libre des mots et leurs manquements

Le poète de Port-au-Prince est toujours errant. Son premier prétexte de haine ou d’amour est la ville. C’est là qu’il expose son chagrin, c’est là qu’il met ses joies en spectacle. La ville est comme un amas de mots où naissent et meurent les joies de vivre et les souffrances. Depuis Jean Brière, Davertige, ou plus près, Frankétienne, elle ne cesse de rebondir dans les textes et laisse entrevoir le changement brusque des comportements, son propre changement.

Certains poètes arrivent également à surpasser les contours et les détours de la ville, à faire le vide, à voir la ville comme la néantisation de tout, puisqu’elle contraste tout ce qui bouge. On a en exemple des poètes comme Coutechève L. Aupont, avec Make pa, volubile sur les traces de la ville, à chercher l’intangible ; ou Faubert Bolivar, avec Une pierre est tombée, un homme est passé par là, qui reste lui aussi dans le tracé, avec néanmoins un souffle nouveau ; ou encore Mikadol’s Mentor, avec Le vide, la ville.

Ce dernier a le mérite d’initier le lecteur aux premiers balbutiements de tous ces poètes qui hésitent devant la ville ou qui la prennent comme prétexte d’écriture. Il cherche presque à rendre conforme ou inéluctable cet attachement, cette appartenance à la ville. L’enfance est un état par lequel l’homme n’apprend tout qu’à partir du lieu où il se trouve dans la ville. Il n’est rien tant qu’il n’a pas encore pris connaissance de la ville. C’est là d’ailleurs qu’il peut devenir, selon ce long poème de Mikadol’s, maître de ses angoisses, de ses appréhensions.

« L’enfant que tu étais/Caché sous le lit/Est devenu/Prince des inquiétudes… » (p. 21) Mikadol’s Mentor ne cache pas non plus la vulnérabilité de l’homme, même en étant prince de ses inquiétudes, face aux convulsions de la ville : « Ma ville/Dessin animé/Pour enfance perdue… » (p. 44). Ici, dans ce recueil publié cette année (2016) chez Jebca Editions, la ville est présentée comme une arme à double tranchant, à la fois stratagème et soubassement.

Parfois, la ville n’a rien à voir avec le poème. Les poètes en ont fait de préférence une sorte de langage propre. Dans Le vide, la ville, Mikadol’s parle de l’enfance, de son enfance fragilisée par la ville, d’une enfance dont la ville seule connaît la fabrication, la consistance. Un poème fleuve, une sorte de voyage même, dans le vide, dans la ville, sans aucune incidence sur le poème. Le propos, loin d’être revendicatif, est porteur de cris et de silence. Il est comme un aveu.

 « Toute ma ville habite/Cette page/Il sortira de cette page/La fin du monde/Et des poèmes pour hommes/En quête de douleur. Tu sauras de cette page/Le prix d’un poème. Il est versé sur cette page/ Le sang de héros anonymes/Et eaux de femmes malheureuses/En quête de ville fertile… (p. 35). Ta ville n’est pas ton royaume/Ton royaume est dans ta tête. Je te laisse/Les clés de la ville/Ma ville/Prend le soin d’habiter/Chaque maison. Prend le soin d’aimer/Chaque enfant/ L’avenir est dans la ville. (p. 62) »

 Mikadol’s Mentor est né à Port-au- Prince. Il a déjà publié deux recueils de poèmes. Il a participé en 2006 au Festival de poésie “Jacmel: ville ouverte” coordonné par l’écrivain Edgar Gousse. Mikadol’s a également participé à l’anthologie de poésie et d’art haïtien titré Cahier Haïti, publiée par la RAL, M en France en 2009, et coordonné par les poètes Fred Edson Lafortune et James Noël. Ses poèmes sont publiés dans plusieurs autres revues et collectifs.

Jean Emmanuel Jacquet

http://www.lenational.org/de-ville-coeur-a-t-parfum/

 

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