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  • « Haiti compétitive sur le plan international »

    Lauréat du prix du Livre insulaire de Ouessant en 2003 pour « A l'angle des rues parallèles » ; gagnant du prix du livre RFO en 2004 pour « Je sais quand Dieu vient se promener dans mon jardin » ; vainqueur du Grand Prix littéraire des Caraïbes en 2008 pour «Les Cloches de la Brésilienne», l’écrivain haïtien Gary Victor qui vient de remporter le prix Casa de las Americas 2012 n’entend cesser de meubler son palmarès avec des prix littéraires prestigieux. « Je suis fier d’avoir remporté ce prix pour Haïti », soutient l’écrivain qui répond gracieusement à nos questions.
     
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    .M.-Vous venez de remporter le Prix Casa de las Americas 2012 avec votre roman intitulé « Le Sang et la mer», sorti aux Éditions Vents d'ailleurs en France en 2010. Que vaut une telle récompense à vos yeux entendu qu’en 2003, 2004 et 2008 vous avez glané pas mal de distinctions avec d’autres romans ?

    G.V.- Le Prix Casa de Las Americas est un prix pour l’Amérique Latine et la Caraïbe lancé en 1959 après la Révolution Cubaine et qui est devenu le prix littéraire sans doute le plus connu et le plus prestigieux de toute notre région. Tout écrivain de la Caraïbe et de l’Amérique Latine rêve que ce prix figure à son palmarès. Je suis de la Caraïbe et de l’Amérique Latine et je suis donc tout naturellement fier d’avoir remporté ce prix pour Haïti tout d’abord et pour moi ensuite.

    L.M.- Pouvez-vous faire un résumé du «Le Sang et la mer» pour les lecteurs ?

    G.V.- Le sang et La mer est écrit à la première personne. Une jeune fille de 17 ans, Hérodianne qui vient de se faire avorter est peut-être en train de mourir. Son amant, un fils d’une grande famille, a refusé qu’elle garde l’enfant. Sur son lit de souffrance, elle raconte sa vie et celle de son frère Estevel qui a une relation particulière avec la mer. Herodianne et Estevel, suite à la mort de leurs parents ont dû quitter leur petit village du sud pour venir prendre une « pyès kay » dans l’un de ses bidonvilles sur les flancs des collines de Pétion-Ville.

    L.M.- Peut-on dire que cette fiction est inspirée des réalités politique, sociale et culturelle d’Haïti et s’inscrit-elle dans le paysage d’une œuvre littéraire ?

    G.V.- Aucune fiction ne tombe du ciel. Le personnage d’Hérodianne, la protagoniste et narratrice de ce récit est une juxtaposition de personnages féminins que j’ai connus. C’est l’histoire de beaucoup de jeunes filles dans notre société où le mépris social et l’exclusion sont des boulets à nos pieds.

    L.M.- Vous vous êtes beaucoup impliqué dans la 3e édition du festival Etonnants voyageurs. Quelle place avez-vous accordé à ce Prix et particulièrement ce roman dans les échanges avec les festivaliers ?

    G.V.- Tout prix donne une visibilité à une œuvre. La presse en parle. Certainement des questions me seront posées sur ce roman. Ainsi dans la rencontre au Collège Dominique Savio, j’ai dû répondre à beaucoup de questions concernant le Sang et La Mer. Le personnage d’Hérodianne en particulier fascine les jeunes filles. J’ai été étonné par la profondeur des questions soulevées par les jeunes, des questions souvent que les journalistes même spécialisés oublient de poser. Ainsi une élève a voulu que je parle du troublant sentiment, incestueux peut-être que Hérodianne a pour son frère.

    L.M.- Le 4 février à l'Institut français d’Haiti vous êtes intervenu sur le thème journalisme et littérature. Quelle relation peut-on établir entre ces deux domaines?

    G.V.- Ma carrière d’écrivain a été étroitement liée à ma carrière de journaliste et surtout de chroniqueur, de nouvelliste et de feuilletoniste. Très tôt, dès l’âge de 19 ans j’ai commencé à publier des nouvelles, des contes, dans les colonnes des quotidiens de Port-au-Prince. Comme journaliste, j’ai suivi toutes les turpitudes de notre vie politique et ce que j’observais à ce titre me nourrissait déjà comme écrivain. Mon premier roman Clair de Manbo a un souffle très journalistique par endroits. Mon personnage Albert Buron qui a pris naissance dans les colonnes des quotidiens et qui est devenu célèbre à la radio, je l’ai longtemps côtoyé alors que j’étais fonctionnaire et aussi journaliste. Pour moi donc il y a un lien, une relation de départ assez forte entre ces deux domaines pourtant bien distincts. Mais ensuite forcément, la littérature prend son envol. C’est le lieu de toutes les libertés. C’est le lieu de l’expression libre de l’être. Elle laisse le journalisme loin, sur le plancher des vaches si je peux m’exprimer ainsi.

    L.M.- Gary Victor a-t-il un mot spécial à l’intention du poète Georges Castera qui a été à l’honneur dans le cadre de la 3e édition du festival Etonnants voyageurs ?

    G.V.- Je dirais simplement que Georges Castera est un monument de notre littérature. Il est un grand poète. Il ne vit que par et pour sa poésie. Il a une exigence sans limite pour son art. Cette exigence peut gêner certains jeunes poètes car Georges ne prend pas des gants quand il critique un poème qu’on lui soumet. Je pense que ces jeunes ne devraient pas seulement apprécier la poésie de Georges. Ils devraient aussi avoir le courage d’écouter ses conseils et de déchirer ce qui mérite d’être déchiré. Tout le monde veut faire de la poésie et on tombe dans 95% des cas dans du n’importe quoi.

    L.M.- D’aucuns prétendent que ce Prix Casa de las Americas que vous remportez inaugure une année très enrichissante pour la littérature haïtienne. Qu’en pensez-vous ?

    G.V.- C’est ce que nous espérons tous. La littérature est l’un des rares domaines où notre pays est compétitif sur le plan international. Il commence par y avoir une grande complicité entre la plupart de nos écrivains. Dany Laferrière a fait beaucoup pour faire tomber l’image de cet écrivain (intellectuel ?) haïtien inabordable, coincé, faisant de son art un instrument de pouvoir et de mépris de l’autre. Si certaines pratiques claniques ont perdu de leur force, il est en partie responsable. Comme Dany aime à le dire, les écrivains haïtiens avancent en rangs serrés. Pour d’autres conquêtes, pour qu’au moins Haïti garde un peu de ce respect que tant d’autres piétinent allégrement.
    Propos recueillis par Hudler Joseph

    josephudler@yahoo.fr