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  • LA CRAINTE DE LA MORT CHEZ ETZER VILAIRE




    Ce n'est pas assez de rappeler que de la mort Etzer Vilaire a une vision chrétienne, aboutissement d'une profonde et douloureuse inquiétude qui a traversé toute sa vie de protestant questionnant avec obstination les mystères de la vie.

     

     

     

    Dr Eddy Arnold Jean

     

    Etzer Vilaire a, à l'égard de la mort, une attitude ambivalente au point de l'intérioriser et d'oublier qu'elle est la face cachée de la vie, une autre forme d'existence. Aussi va-t-il de soi que ce thème traverse toute son oeuvre et soulève des interrogations auxquelles le poète s'est évertué tant bien que mal à répondre. Est-ce à dire que les multiples facettes de sa poésie sont des questions qui vont au-delà du spectacle affreux de la MORT? D'où la tentative infructueuse d'assimiler Etzer Vilaire à un poète philosophe qui, avec pertinence, s'interroge sur la double signification de la vie et de la mort. L'homme n'aurait-il passé toute son existence que pour aboutir à l'immobilité du cadavre ? La mort serait-elle un point final mis à la vie comme lieu idéal de tous les mouvements expressifs ? En somme, qu'est-ce que la mort ? Quelle vision le poète en a-t-IL?

    La dialectique de la mort

    Ce n'est pas assez de rappeler que de la mort Etzer Vilaire a une vision chrétienne, aboutissement d'une profonde et douloureuse inquiétude qui a traversé toute sa vie de protestant questionnant avec obstination les mystères de la vie. Il en résulte que, vue à travers les contorsions des souffrants, la mort ne saurait être que délivrance. Et l'au-delà doit couver un indicible bonheur. C'est la réponse qui surgit d'un tête-à-tête du croyant avec le ciel dont le silence lourd et pesant fait craindre le pire. Toutefois, rien qu'à vouloir approfondir l'oeuvre poétique de ce poète, on découvre des chassés-croisés, des revirements subits, des analogies subtiles et frappantes qui arment l'inquiétude des uns et des autres pour enfin désarmer la conviction que l'on pourrait se faire de la vie et de la mort.

    Pour chaque homme qui meurt, c'est bien une partie de l'humanité qui s'en va. Voilà la première des grandes évidences sur lesquelles vont se greffer d'autres tout aussi subtiles. Alors, sans forcer trop la note, le mécréant saisit la mort comme une négativité absolue. Comme telle, elle ne peut s'ouvrir que sur le néant de l'être. Ainsi, la vie serait une longue ou brève interrogation sans réponse et dont la durée importe peu. S'il faut alors jouer sur et avec l'apparence, on dira que la mort est bien cette terrible réalité qui anéantit la totalité psychosomatique qui résume l'être humain.

    Mais il n'empêche que par la mort se perçoive la vie. Chez Vilaire, la mort s'infiltre dans tout ce qui vit et bouge. La mort est insidieusement porteuse de vie comme celle-ci, celle-là.

    La grande analogie


    Pour Etzer Vilaire, la mort pourrait s'apparenter à la nuit. Et ce n'est pas une moindre analogie. Car ce qui surgit dans la nuit, c'est la nuit. Rien ne paraît donc étrange quand les ténèbres ne sont pas ce couvercle que l'on fait scruter pour découvrir l'étrange qui surprend. Mais pour le croyant et le poète surtout, l'aube ou le petit matin laiteux est déjà une attente du jour qui se construit au rythme lent de la disparition de la nuit, bref ! une manière de la transition de la nuit au jour, de celui-ci à celle-là. À tort ou à raison, « c'est le jour qui engendre la nuit, qui s'édifie dans la nuit : la nuit ne parle que du jour...[celui-ci] est lié à la nuit, parce qu'il n'est lui-même jour que s'il commence et s'il prend fin » (Maurice Blanchot : L'espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955). Ainsi, le poète achoppe à la nuit. En elle se mesure la limite de ce qui ne doit pas être franchi. Bien plus, c'est la profondeur silencieuse qui, pareille à la mort, contredit la vie perçue comme la parole, l'émergence de la vie. Le poète ne dit pas mieux quand il déclare :

    Le voile de la nuit que suit le crépuscule
    Linceul d'âcre fumée où l'horreur s'accumule
    Plus pesant pour un mort qu'une armure de fer
    Avait enveloppé sept fois le vague enfer

     

    Il est donc évident que le jour cherche à l'emporter par une réelle appropriation de l'espace ténébreux de la nuit, qu'il n'est pas du tout question d'écarter résolument. Pour utiliser un langage plus imagé, c'est comme s'il fallait beaucoup de cendres pour couver du feu. D'où l'ardente nécessité de regarder la mort et la vie comme parties intégrantes de la vie et du jour.

    Vilaire chante la mort pour mieux l'apprivoiser, l'exorciser. C'est pourquoi il la regarde d'ailleurs avec la plus grande épouvante. Pour ne pas avoir compris ce phénomène et ne pas chercher à le comprendre non plus, elle est la terreur qui nous menace dans notre quotidien, l'expression de notre impuissance face à l'univers, la sanction sans appel qui pénalise nos écarts. D'où en somme la grande épouvante qu'elle suscite chez Vilaire conscient des limites de l'être humain en regard de la puissance de la mort dont le spectre grimace à chaque détour. Qui mieux que Vilaire peut exprimer cette situation ? Il décrit la mort comme celui qui l'aurait vécu dans sa chair, cette force qui dépasse l'homme :

    ...J'en suis épouvanté
    J'éprouve un tremblement d'angoisse et de folie
    Vertige de la mort qui saisit mon esprit
    Attouchement glacé de la main qui la délie
    Ce cri, c'est elle - hélas ! oui ! C'est mon dernier cri

    Si les descriptions sont ainsi exactes, c'est parce que le poète Etzer Vilaire a pu suivre de près la douloureuse réalité de la mort. Par introspection ? Par la lecture de la Bible ? Par le questionnement de l'au-delà ? Par le spectacle macabre de cadavres qu'il observe journellement ? Personne ne sait. Ce qui en fin de compte reste certain, c'est qu'il est vraiment obsédé.

    La hantise de la mort


    La hantise de la mort est une question. Mais la tentation du suicide en est une autre qui s'ouvre sur une multitude de possibilités. Peut-on se suicider ? Pourquoi choisir cette issue fatale qui, tout compte fait, ne saurait être une réponse à cet appel de la possibilité de la mort. Ou mieux, ne devrait-on pas y voir l'impasse dans laquelle enfoncent l'individu les contraintes douloureuses de l'existence ? Sans doute serait-ce le constat de l'impossibilité de vivre qui doit servir de support au suicide qui est à la fois question et réponse. Celui qui aurait tenté l'expérience et qui en sortirait indemne ne peut non plus se refuser à être l'ombre de lui-même, à glisser sur cette pente sans un crin d'arrêt, à travailler même à sa propre déchéance ou mieux sa propre disparition. Il définit la mort comme un acte de courage qui donne l'hallali à ses frustrations innommables et innombrables. Il pose un acte qui lui redonne de la personnalité aux yeux des autres. L'univers du suicide cacherait le désespoir et l'amertume. Toutefois rien n'est plus faux. Car celui qui consomme l'acte suicidaire et qui se décide à aller jusqu'au bout a suffisamment de ressources pour remonter à la surface de la vie. Mais il a plutôt choisi de récidiver. Car pour l'aspirant au suicide, il s'agit d'abolir d'un geste spectaculaire l'avenir saisi comme le mystère de la mort. Par ce biais, il s'agit de se tuer pour enlever à l'avenir ses secrets intimes, son énigme incontournable. Quand on se détruit, c'est qu'on espère banaliser la mort qui du même coup cesse d'être une terrifiante aventure, plutôt superficielle sans épaisseur et sans danger.

    Je ne suis plus du monde et je vais à la mort
    Sans rien de l'homme en moi...Tiens, ce cri qui m'égare,
    C'est mon coeur qui râlait. Je l'ignorais encor
    Mon coeur ?...Il est guéri maintenant de la vie

    Toujours la même angoisse. Toujours la même anxiété qui étreint le poète partout où il passe. Une voix parle en lui, râle en lui. Il souhaite cette issue comme un apaisement. Est-ce à croire que la mort l'avait déjà habité à ce point tel qu'à ses yeux la vie perd toute signification ? C'est pourtant dans la solitude qu'il se découvre à lui-même et qu'il entend la voix qui lui commande la mort confondue avec un vrai désastre.

    Qui parle et crie ainsi ? J'ai peur de ce mystère
    La nuit devient terrible avec cette voix-là...
    Quelqu'un est donc blotti dans ce coin solitaire
    Quelqu'un parle et me dit de mourir !...Et voilà
    Voilà que tout à coup hypnotisé, stupide
    Je veux...Une pensée horrible m'a hanté
    J'ai placé cette arme et, d'un geste rapide
    J'ai désiré finir...

     

    La mort représente aux yeux de Vilaire l'expérience suprême qui suscite le plus grand effroi. Il ne sait pas que la mort est la face cachée de la vie. La crainte qu'elle inspire provoque en même temps cette répulsion qui, intériorisé à l'extrême, devient une seconde nature. Etrangère à l'homme qui veut vivre et aime la vie, la mort devient l'ennemie qu'il faut traquer jusqu'à la faire disparaître à tout jamais.

    Notes sur le thème de la mort

    Le discours funèbre d'Etzer Vilaire formule plusieurs propositions. Soit qu'il est perçu comme un exutoire, un défouloir d'obsessions et de fantasmes. À ce compte, il projette une vive lumière sur les poèmes de la mort, et surtout sur le Thanatophobe (traduisez : celui qui craint la mort). Soit que ce même discours se charge d'inviter l'homme à la conversion. Dans l'un et l'autre cas, il doit faire date autant pour l'expéditeur que pour le destinataire. Ainsi, le verbe produit le déclic qui force le locuteur à rentrer en lui-même, à se tourner vers son intérieur. À aucun moment il ne s'agit pourtant de rompre avec les choses, d'y renoncer, de rejeter tout ce qui n'est pas lui-même, d'opérer le renoncement total avec les platitudes de la réalité qu'il faudrait au contraire sublimer. C'est par là que la conversion revêt sa pleine et entière satisfaction. C'est par là que les objets se dépouillent de leur valeur d'usage pour participer à l'oeuvre de transmutation profonde.

     

    Le choix est désormais fait : que l'être humain réalise la mission exaltante de son accomplissement. Aucun recours étranger ne lui est nécessaire quand il s'oblige à puiser dans son for intérieur sa force d'élévation. À ce tournant, les choses se transforment dans la mouvance de la transformation de l'individu. Ainsi, la mort serait une ultime occasion de parfaire la vie. Toujours est-il qu'il faut savoir bien vivre pour que mourir « soit vivre mieux ». La perspective d'une mort certaine précise au mieux la vocation de l'homme qui se charge de métamorphoser le visible en invisible. C'est là que l'homme se découvre et reconnaît le devoir de mourir. La conversion serait alors une mort douce et lente, une mise sous séquestre de tout ce qui est mal. Celle-ci rencontre la condition première pour l'émergence d'un homme nouveau qui choisit en même temps la parole poétique ou prophétique. Car « parler, pour répéter Maurice Blanchot, c'est essentiellement transformer le visible en invisible, c'est entrer dans un espace qui n'est pas divisible, une continuité qui existe pourtant hors de soi ».

    La parole va donc au-delà de la mort, sert de suture entre deux domaines que l'on croyait si contradictoires l'un de l'autre. La mort est aussi contemporaine de la vie ; tout élément saisi et interprété dans et avec sa négation. C'est pourquoi l'épouvante ravit, la mort se vit ; la mort se meurt. La gloire se lamente et la lamentation se glorifie. La transformation de l'être passerait donc par la ''consumation'' heureuse de l'individu.
    Point n'est besoin de souligner que la parole (le chant poétique, par exemple) sauve l'être du dépérissement.

                                                                                                                                                            
    Dr Eddy Arnold Jean

     

     

    Source: lenouvelliste.com