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  • POÈME AUX POÈTES ET ROMANCIERS HAITIENS

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    « … Il est certain que les livres dont les antillais sont nourris ont été écrits dans d'autres pays et pour d'autres lecteurs. Progressivement, les antillais « de couleur » renient leur race, leur corps, leurs passions fondamentales et particulières, leur façon spécifique de réagir à l'amour et à la mort et arrivent à vivre dans un domaine irréel déterminé par les idées abstraites et l'idéal d'un autre peuple. Tragique histoire de l'homme qui ne peut pas être lui-même, qui en a peur, honte. Le colon, d'ailleurs, lui reproche essentiellement de se laisser aller au génie de sa joie, de sa danse, de sa musique, de son imagination... » 
    René MÉNIL in «  TRACEES »
    Editions Robert LAFFONT-1981
    A vouloir obstinément faire entendre nos cris
    À crever les tympans des ouïes étrangères
    En un langage qui n'est autre que d'emprunt
    Les voix des poètes se sont tues
    Métamorphosées en langue du dehors
    Langue autre
    Langue de l'autre exogène
    Langue ministre d'étranges affaires étrangères pernicieuses
    Paroles véhiculaires
    Tandis que les voix des sans grades
    Des sans noms
    Résonnent de sonorités créoles
    Véhiculées par une langue magique
    Forgée aux sons et frappes vernaculaires de tambour Assotor
    Consciente d'un espace, d'un pays où l'on paye les soutanes
    En contrepartie d'obtention du « savoir »
    Avant le grand départ
    D'Exil au pays du siècle des lumières éteintes
    Soufflées par les vents de liberté et vérité
    D'exil vers les terres froides au nord du continent nouveau
    Ou encore
    Aberrant vers les pays au nord de l'Équateur
    Francophones
    Toujours et encore la sempiternelle soif de reconnaissance
    De Soi
    Par l'Autre
    En une attitude d'attirance répulsive
    Face à celui
    A qui il nous faut encore prouver notre appropriation de sa langue
    Pour mieux rêver de revêtir l'habit vert offert avec condescendance
    Il paraît
    Que près de quatre vingt cinq pour cent de la population
    Ne sait
    Ni lire
    Ni écrire
    Pour qui, pour quoi alors divulguer des écrits
    Si ce n'est, pour les plus sincères,
    Que dans une tentative d'exorcisme de soi
    Même si le chemin emprunté n'est pas celui de la voix du pays
    Syndrome de l'anonymat
    À tout prix exister
    Vouloir être autre qu'un quelconque et vulgaire numéro de code-barre
    Certains pourtant
    Avec pour toute arme une palette d'arc-en-ciel
    Des encres de charbon et des plumes d'oiseaux
    Au risque de leur vie s'en sont allés
    Défier les rayons du Saint Soleil
    Et embrasser les ombres dansantes de la nuit
    À poser sur une toile immaculée
    « Dézafi  kayé
       Kô mizik frapé
       Nap chèché sou ki pié pou nou dansé »  (*)
    Les affres du défi
    Le corps frappé de musique
    A nous, toujours en instable équilibre,
     De chercher et savoir sur quel pied danser
    Danser !
    Danser !
    Damer la terre dansée sous les pieds nus synchrones
    Aux empreintes têtues de « vèvès » incrustés dans la chair même du temps
    Coeur de Zili
    Crosse de Lègba
    Haut de forme de Baron-Samedi
    Les traces sinueuses de Damballa-Wédo
    En parfaite symbiose homophone des jumeaux Marassa
    Plantes et herbes miraculeuses aux mains du vieux compère Zaka
    Agwé-Taroyo hissant la voile rouge en signe de pèche miraculeuse
    À rassasier les ventres vides
    Ogou-Féray forgeron de flèches-vérité
    Bossou trois-cornes tirant dans un ahan le soc traceur de sillons
    Grande Brigitte en goguette, pleine comme une outre de clairin
    Jupon virevoltant cul par dessus tête
    Et les chevaux du devant-jour au grand galop
    Montés par les loas espiègles, délaissant leurs montures d'un soir
    S'affalent inconscients, hors de transe
    Dans les bras maternels des mambos attentives...
    (*) Vers de FRANKÉTIENNE, poète haïtien, du recueil de poèmes :  « DÉZAFI »
    Alain Phoébé CAPRICE

    Source: http://aime-cesaire.blogspot.com/2011/05/poeme-aux-poetes-et-romanciers-haitiens.html