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La littérature de la République Dominicaine : foisonnante et singulière

 

La langue espagnole exaltée

Parler aujourd’hui d'une littérature de la République Dominicaine signifie un exercice de réflexion et de recherche minutieuses dans le vaste inventaire bibliographique des écritures diverses et variées qui sont apparues du XXème siècle à nos jours.

L’expression littéraire est intense dans cette République de langue espagnole qui partage l’ancienne île de Quisqueya avec la République d’Haïti. Il serait difficile de repérer une littérature dominicaine qui aille au-delà du modèle colonial avant la fin du XIXème siècle. Les auteurs nationaux comme José Nuñez de Cáceres, Juan Pablo Duarte et Nicolás Ureña de Mendoza sont surtout des essayistes politiques, héritiers de la langue espagnole classique, influencés par la rhétorique de la langue castillane, avec des élans emphatiques et romantiques dignes des grands tribuns.

La langue espagnole de Góngora et Quevedo est exaltée par les intellectuels et les poètes, mais aussi par les forgerons de l'indépendance, qui tout en luttant contre l'occupation haïtienne de 1822, font les louanges des valeurs culturelles catholiques et apostoliques, faisant de la langue castillane un instrument admiré et revendiqué par toute l'oligarchie terrienne et les républicains de la capitale.

La passion pour la langue espagnole est un choix face aux périls et aux menaces de l'occupation du général haïtien Boyer, qui se retira finalement en 1844, après 22 ans de siège militaire. 1844, date à laquelle les dominicains déclarent leur première indépendance de la Nation voisine avant de se libérer de la colonisation espagnole, qui dura cinq siècles, en 1865. Ce phénomène historique permet de comprendre le profond attachement de tout un peuple pour la préservation de la langue espagnole comme passeport d'identité différenciée, du créole et du français, de leurs voisins haïtiens.

La poésie, le roman, la nouvelle et l’essai se sont développés et imprégnés de l’événement politique du moment et on peut considérer que la fin du XIXème siècle a été marqué par une abondante production d’essais politiques dont l’un des plus brillants auteurs est sans doute Pedro Henriquez Ureña.

Le sentiment national et le lyrisme patriotique marquent profondément la production littéraire entre les années 1850 et 1930. D’entrée, les thèmes historiques et politiques couvrent les pages de la production littéraire dominicaine jusqu'à nos jours avec un foisonnement de publications sur la dictature de Trujillo, sujet privilégié et obsessionnel du roman moderne et postmoderne dominicain.


La poésie essentielle

La poésie est fondamentale et essentiellement le fait de trois poètes du début du XXème siècle : Valentin Giró, Ricardo Pérez Alfonseca et Osvaldo Bazil, dont les influences de Ruben Dario seront déterminantes dans le mouvement du « postumismo » dans les années 1920-1930.

Le symbolisme français va renouveler la lyrique dominicaine avec le cas de figure particulier du « vedrinismo », en référence aux pirouettes et aux sautillements des vers à la manière de l’aviateur français Jules Védrine… Et c’est ce mouvement « vidriniste » qui, sous l'impulsion du poète Vigil Díaz, introduit la modernité littéraire en créant des « vers libres comme l’air » en prose.

Il faudra attendre les post-tumistas, Domingo Moreno Jiménez et le philosophe Andrés Avelino, pour favoriser une poésie qui réponde à l’identité des dominicains. Ils produiront un manifeste qui rejette les avant-gardes « europeisantes » pour laisser libre cours aux métaphores et aux images populaires des campagnes dominicaines, introduisant l'expression du vers libre dans leurs poèmes.

Ce mouvement sera suivi par celui de « La Poesía Sorprendida » auquel il faut associer la grande poétesse Aida Cartagena Portalatin, dont le souci se fondait sur la recherche esthétique.

À partir de 1940, s'annonce une nouvelle rupture avec l’émergence des indépendants comme Manuel del Cabral, Héctor Incháustegui Cabral, Pedro Mir, poètes engagés contre l’occupation américaine et la dictature de Trujillo. Ils vont publier des essais poétiques emblématiques et créer un pont avec l’esthétique d’un langage purement dominicain : une vision des métaphores conscientes de la réalité sociale, politique et esthétique des dominicains en concert avec le mouvement de conscience « negra » qui se développe à partir des années 1940-1950 à Cuba et Porto-Rico grâce aux poètes Nicolás Guillén et Pales Matos.
Compadre Mon de Manuel del Cabral et Hay un país en el mundo font apparaitre une identité littéraire créole, dans le sens des valeurs sociales et populaires dominicaines, complice des valeurs afro-caribéennes, à la fois influencée par les vers de Nicolás Guillén et dans le sillage de la négritude.
Cependant, Pedro Mir, poète engagé avec la clase ouvrière dans Hay un país en el mundo répond de la tradition des grandes poètes espagnols de la génération de 1928, comme Lorca et Machado.

Du groupe de « La Poésie Sorprendida » vont se distinguer des poètes anti-trujillistas de la génération de 1948 dont les auteurs fondamentaux sont Victor Villegas et Abelardo Vicioso.

À partir des années 1960, le combat contre la dictature, puis la guerre d’avril de 1965, ouvrira le chemin á de nouvelles générations avec René del Risco Bermúdez, Jeannette Miller, Miguel Alfonseca, Antonio Lockward.

La jeune poésie va rompre avec le champ de l’idéologie après l’invasion américaine de 1965. Les poètes de l'après-guerre, comme Andrés L. Mateo, Enriquillo Sánchez, Tony Raful, Soledad Álvarez et Alexis Gómez Rosa, marquent une voie de libération en se détachant de l’événement pour servir une poétique existentielle et urbaine. Afin de se séparer des circonstances historiques et idéologiques, la génération des années 1980 s’identifie par une poétique métaphysique et philosophique, non dénuée parfois d'érotisme et c'est ce que l’on trouve dans les vers de José Mármol et Plinio Chahín à partir des années 1990. Leopoldo Minaya semble s’en inspirer dans un style syncrétique et a recours à l’image pour évoquer l’angoisse existentielle.


Le roman aux prises avec l'histoire

Le roman, quant à lui, s'imposera tardivement. Ce genre littéraire n'a pas connu, au début du XXème siècle, autant de succès que la poésie ou encore les essais et les récits courts. Cependant, nous devons considérer quelques œuvres majeures comme Enriquillo (1879) de Manuel de Jesús Galvan, qui représente un bijou littéraire du roman indigéniste latino-américain.

C’est au sein du milieu de la plantation sucrière que l’on peut distinguer entre 1930 et 1950 quelques romans réalistes et naturalistes qui mettent en évidence le milieu du travail des paysans pauvres, mais aussi la réalité sociale et culturelle face à l'existence migratoire haïtienne dans les bateyes dominicains.
Trois œuvres composent une trilogie unique : Cañas y Bueyes de Moscoso Puello, Over de Ramón Marrero Aristy et Jenjibre de Pérez Alfonseca. Ces romans répondent du néo-réalisme populaire qui marqua l'histoire du roman latino-américain après les années 1920. Il s'agit d'une série de publications appelée littérature de la plantation.

Le roman réaliste La Sangre de Tulio Cestero est considéré comme un document exceptionnel, écrit en tenant compte de l'expression linguistique des journaliers haïtien-dominicains et des contremaitres de la plantation. Ce roman traduit la violence et les souffrances dans les milieux agraires sucriers.

D'autres romans coutumiers « constumbristas » portent toute leur singularité sur les classes moyennes provinciales, les petits planteurs, les paysans montagnards, c'est-à-dire la majorité des petites gens qui forment la nation dominicaine. L’œuvre fondamentale dans cette catégorie pourrait être La Mañosa de Juan Bosch, dont le style et l’écriture se centrent sur les détails précis et savoureux de la vie quotidienne. Bosch y emploie une écriture dépurée et efficace, héritière des romanciers espagnols de la fin du XIXème siècle, comme Perez Galdós, avec des atmosphères et des situations proches des romans de Pío Baroja.

Jamais ou très peu traduits, surtout en français, ces romans cités décrivent un contexte humain trop souvent nié et caché par les autorités. Ce sont des œuvres littéraires qui fonctionnent comme des miroirs de la réalité, où les auteurs, chacun dans leur style et leur langage, déploient avec excès le témoignage, faisant du roman de véritables pièces à conviction des injustices sociales et de répression de la tyrannie.

La littérature dominicaine va se libérer du poids de son histoire après la guerre d’avril 1965 et mettra en évidence une production littéraire qui suivra les innovations des grands écrivains latino-américains. En effet, ces années voient apparaître l'écrivain versatile Marcio Veloz Maggiolo, auteur d'une douzaine de romans, maître d'un genre particulier que l'on appelle roman archéologique et anthropologique avec une écriture expérimentale dans ses œuvres : Los Ángeles de Hueso (1967) et Escalera para Electra (1971).
Cet auteur, anthropologue de formation, archéologue de cœur, est l'un des spécialistes majeurs de la civilisation taína des Grandes Antilles. Il s'est distingué à Cuba pour l'ensemble de son œuvre, reconnue dans toute l'Amérique hispanophone. La presse latino-américaine le considère comme le romancier contemporain qui suit les traces laissées par Echenique et Julio Cortázar. Ses romans sont publiés en Espagne par l'éditeur Siruela et traduits en italien également. Biografia difusa de Sombra Castañeda a été très pauvrement traduit en français par les éditions du Griot, aujourd’hui disparues, sous le titre de L'Apprenti sorcier, qui contient toute l'œuvre de l'auteur. Sa saveur principale est le hors-temps ou la négation du temps, dans un milieu géographique où se croisent indiens taínos, négres bantous, négres marrons, espagnols et arabes, chinois et japonais, dans une géographie séculaire où la réalité affronte la magie de l’animisme et la liberté des caprices des caudillos et des dictateurs. Cette œuvre marque la naissance du roman moderne et expérimental de la République Dominicaine. Marcio Veloz Maggiolo a lancé la littérature dominicaine sur le plan international, signifiant un pilier d'ouverture pour les générations suivantes.

La dictature, l'exil et la mémoire du pays perdu constituent l'environnement du roman dominicain après les années 1960. Mais à partir de 1990, les écrivains dominicains résidant à New York, comme Julia Alvarez, qui écrit en anglais, tout comme Junot Díaz, vont renouveler la créativité litteraire depuis les États Unis. Julia Alvarez avec El tiempo de las Mariposas (Le Temps des papillons), remettra sur scène le drame de l’assassinat des trois sœurs Mirabal à la fin de la dictature de Trujillo. Traduit de l’anglais-américain à l’espagnol, puis en français chez Anne-Marie Métaillié, ce roman a pour narratrice une enfant de 11 ans qui décrit un des assassinats les plus cruels de la plus féroce des dictatures latino-américaines. L'écriture, efficace, nous entraîne dans un rêve perdu, dans des élans de cauchemars.
Reconnu par la critique internationale et la presse latino-américaine, cette œuvre a suscité un grand intérêt dans la communauté latino des États-Unis et dans les milieux intellectuels et universitaires, passionnant notamment Salma Hayek, qui adaptera l'œuvre pour le scenario du film qu'elle a produit sous le même titre, avant La fête du bouc de Mario Vargas Llosa.

Junot Diaz est lui aussi fils d’émigrés dominicains, arrivé aux Etats-Unis à l'âge de six ans pour rejoindre ses parents dans un quartier marginal et violent du New-Jersey. Il s’intègrera dans le ghetto et se forgera une personnalité capable d'affronter la grande diversité afro-américaine, latino-américaine, afro-latino-américaine, italo-judéo-américaine, comme il aime dire pour se revendiquer afro-latino-américain…dominicain.
Après avoir été remarqué en 1997 pour son livre de nouvelles Les Boys, il revient dix ans après avec The Brief Wondrous Life of Oscar Wao, pour gagner le Prix Pulitzer 2007 en se positionnant parmi les best-sellers américains. Mais Junot Diaz revendique une écriture qui mélange tous les codes, tons, langages et tous les mots inventés par les minorités qui forment les quartiers ghettos de l’immense communauté d’émigrés américains. Il écrit ses romans au rythme du rap et des tensions urbaines. Il ne prend au sérieux ni l’écriture, ni le succés littéraire, mais s’impose comme produit d’une nouvelle réalité culturelle des États-Unis.
Pour écrire, Junot Diaz a besoin de la magie spirituelle et de la problématique existentielle de cette patrie où la fiction et la réalité cohabitent jour après jour. Ses romans constituent le lien, le pont, le retour avec le pays perdu.

Cette écriture urbaine qui mêle langue et langages de groupes et sous-groupes des milieux des quartiers marginaux et des zones défavorisés, on la retrouve chez Rita Indiana Hernández, symbole des générations des dix dernieres années. Un écriture prometteuse et novatrice qui malheureusement s’est limitée à son unique roman publié à compte d’auteur : La Estrategia de Chochueca.
Saluée par la critique littéraire locale et par toutes les générations suivantes qui se reconnaissent dans l’œuvre, Chochueca est un melting-pot de la vie marginale et nocturne des « marginaux » dominicains qui refusent la culture de leurs aînés, toujours ancrée dans la mémoire historique et la référence politique qu'ils considèrent comme des obstacles à la liberté et à la créativité.

La littérature dominicaine n’est pas un détail à l’intérieur de la littérature caribéenne, elle repose sur des écritures à découvrir, trop souvent négligées par un travail de recherche en profondeur que devraient faire les agents littéraires et les éditeurs. Dans ce pays, on peut lire des œuvres majeures du réalisme baroque latino-américain, comme le roman de Pedro Bergés Solo cenizas hallarás (bolero) (1980) qui a obtenu la reconnaissance des espagnols avec le Prix Blasco Ibanez et celui de la critique espagnole. Mais aucun travail n'a été fait pour conduire cette œuvre dans d’autres langues et la promouvoir dans les salons internationaux. Constat que nous devons faire pour l'ensemble de la production littéraire dominicaine qui existe par miracle dans un pays sans maisons d'éditions ni professionnels du livre.

Les récits courts sont, après la poésie, l'œuvre de grands écrivains comme Juan Bosch qui a partagé sa vie entre politique et écriture, laissant une serie de nouvelles : Cuentos escritos antes del exilio, Cuentos escritos en el exilio et Más Cuentos escritos en el exilio.
Virgilio Diaz Grullon excelle dans les nouvelles psychologiques qui traitent des obsessions de la petite et moyenne bourgeoisie, mettant en relief tous les tabous des catholiques faces à la folie et à l’adultère. Les nouvelles de Virgilio Diaz Grullon sont un défilé satirique et conscient de la morale post-coloniale et post-trujillista. Excellent peintre d'atmosphères, il transmet la magie d’un Maupassant et la justesse d'un Perez Galdos, quand il s’agit d’entrer dans le secret de la perversité des âmes

S'il fallait aujourd’hui répondre dans l'urgence sur les valeurs de la littérature dominicaine contemporaine, nous nous engagerions surtout vers la poésie, avec des poètes majeurs comme Manuel Rueda, qui nous laisse un œuvre comme Cantos de la Frontera et Makandal, poème épique en hommage à l'esprit du nègre Makandal. Le poème, symbolique et expressionniste, de 220 pages, est un reflet poétique de Haïti.

La poésie dominicaine s'impose avec force en Amérique latine à travers ses diverses générations et les poètes René del Risco Bermúdez, Tony Rafull, Soledad Alvarez, José Mármol, Plinio Chahín et Alexis Gómez qui sont traduits en diverses langues.

Le roman dominicain s’inscrit dans la tradition latino-américaine du récit post-colonial avant 1930. Après cette date, il se caractérise par des accords très locaux, pour enfin se libérer et se distancer de l’histoire et prendre le moule des influences de Vargas Llosa et Cortázar qui ont fasciné d’une certaine manière les écrivains de l'après-guerre de 1965.
Nous pouvons citer des œuvres importantes comme La balada de Alfonsina Bairán de Andrés L. Mateo, Sombra Castañeda et La mosca soldado de Marcio Veloz Maggiolo, El tiempo de las mariposas et Yo de Julia Alvarez, The brief wondrous life of Oscar Wao de Junot Diaz, et évoquer également les écrivains plus récents comme Pedro Antonio Valdéz, pour les récits courts, ce qui permet d'atteindre une vision assez large de la littérature dominicaine contemporaine, encore peu connue du grand public, parce que peu diffusée et promue.

Delia Blanco

 

 

Source: http://www.culturessud.com/contenu.php?id=182

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